mardi 22 avril 2008

La Westphalie est loin du Tibet




« Free Tibet » ! Ce cri en faveur de la cause tibétaine est devenu un chant d'espoir, un hymne, un psaume. Ad portas des jeux olympiques d'été de Pékin cet été, les organisations non-gouvernementales ont su capter l'attention des médias sur le sort de ce peuple soumis à l'autorité chinoise depuis 1950. L'organisation de cet événement sportif et populaire est l'occasion attendue par des nombreux acteurs de la scène internationale pour l'avancement de la démocratie dans la République Populaire de Chine. Rien n'est plus légitime, en effet, le comité olympique a confié l'organisation de ces jeux à la Chine à condition qu'elle fasse un effort dans le sens des libertés si souvent bafouées dans cette dictature communiste. Rien n'est plus respectable, rien n'est plus souhaitable que cet élan de solidarité humaniste pour défendre la cause tibétaine, pour défendre la dignité humaine, pour défendre les libertés et combattre un régime autoritaire par des voies non-violentes.

L'intérêt des sociétés occidentales pour les habitants des cimes himalayennes sembles si candide et pur que sa simple existence intrigue. C'est peut-être la simple action et l'aura des ONG, ou bien la conscience démocratique et l'attachement aux valeurs humanistes si souvent mise en application, et pourquoi pas un altruisme occidental d'une valeur intrinsèque. Rien n'est moins sûr. Rien n'est moins regrettable que la source véritable de ce regain de solidarité eurasiatique. Le vecteur premier de cet intérêt subit pour la cause tibétaine est, sans aucun doute, l'importance donné par les média à ce thème. Ni les discours du Dalaï Lama, ni les interventions des intellectuels médiatiques ont eu l'effet de ce gavage d'informations et de reportages. Et le citoyen moyen gorgé par l'entonnoir cathodique ne semble s'en plaindre que moyennement. En fin de compte cette stéatose médiatique peut être voulue, voire bénéfique.

Les médias s'agitent tous azimuts, mais il ne font que répondre à l'intérêt d'un public qui par extension devient l'opinion publique. Les occidentaux aiment ce genre de causes, et les tibétains le savent bien et c'est leur droit le plus souverain de profiter de cet événement pour faire connaître leurs maux. Si les occidentaux aiment, les médias répondent. Si les médias répondent, l'opinion publique se créée. Mais la vie serait trop simple en Westphalie alors, le schéma trop doux et trop aimable. Et pour cause, le politologue Alain Garrigou écrit dans Problèmes politiques et sociaux, « Il n'y aurait pas de d'opinion [publique] du tout car les sondés n'en ont pas sur des questions qu'ils ne se posent pas ». De même, dans le célèbre L'opinion publique n'existe pas, Pierre Bourdieu écrit que « Dans le simple fait de poser la même question à tout le monde se trouve l'hypothèse qu'il y a un consensus sur les problèmes , autrement dit qu'il y a un accord sur les questions qui méritent d'être posée ». En effet, l'actualité et les médias sont les sources de l'opinion publique. Dans le cas tibétain, cela se justifie. Mais sans vouloir tomber dans les délires paranoïaques d'un Ignacio Ramonet les médias peuvent faire l'actualité. Conséquence immédiate : Les avocats improvisés de toutes les causes humanitaires ne seraient en réalité que des pions.

Mais les choses ne sont pas si simples. La solidarité manifestée pour la cause tibétaine, pour les victimes du Tsunami en 2004, pour les (la?) victime(s) de la FARC, pour les minorités en Irak, pour les palestiniens, entre autres, -je veux bien le croire- sont sincères. Sans vouloir faire de cela une Dow Jones de la douleur: Pourquoi le Timor-est nous intéresse moins ? Et pourquoi la dictature en Guinée Equatoriale est elle plus supportable ? Et pourquoi attendre que le monarque espagnol Juan Carlos I prononce son aujourd'hui célèbre « ¿porque no te callas ?» pour que les intellectuels et hommes politiques européens se désabusent du régime chaviste ?

Pour Alain Garrigou « Dans les pays démocratiques nous sommes tous incités à penser que nous avons tous une opinion et que nous serions pas des humains si nous n'avions pas d'opinion. »* Certes, mais qu'est ce qui nous poussent à avoir une opinion ? Les médias. Ils font de nous les avocats de causes nouvelles tous les 4 mois, et nous émerveillent en réveillant nos « passions démocratiques », pour reprendre l'expression d'Alexis de Tocqueville, avec l'exotisme d'un nouveau pays lointain. Et si on en entend plus parler de ces « nègres de Surinam », ce n'est point parce que tout va mieux dans le meilleurs des mondes possibles, mais soit que cette dite « opinion publique » s'en lasse ou qu'un nouveau nègre plus miséreux et spectaculaire –plus médiatique, en somme- a été trouvé.





1 commentaire:

Anonyme a dit…

Moi je pense que l'opinion publique est un style de paroles non-prouvées... Ils nous posent a nous ranger dans un camp bien défini par le sujet de polémique... Une sorte de manipulation intellectuelle falsifiée... Les journalistes jouent beaucoup sur ca dans leurs articles, justement pour, dans un certain sens, moraliser sur un fait, un évènement. Ceci a pour effet de nous laisser inconsciemment le choix sur la question.