dimanche 31 août 2008

Le Bouffon du roi

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Ce siècle avait huit ans! Et déjà Napoléon perçait sous Bonaparte. Certains seraient tentés murmurer des vers d'Hugo dans les couloirs du palais de l'Elysée. Le président de la République, d'abord agité et omniprésent dans les médias, ensuite revêtu d'une discrétion princière, selon les besoins de son marketing politique, ne cesse de nous rappeler qu'il est le nouvel avatar de la droite bonapartiste. Après les années de la passivité et du silence chiraquiens, Nicolas Sarkozy semble décidé à être un homme droite qui gouverne. Peut être trop. Pour le président l'enfer c'est autres. il l'avoue à un journaliste de l'Express en avril dernier , un peu comme un cri désespéré : "le problème c'est qu'on est pas tout seul". Michelle Alliot Marie analyse le problème et voit dans cet exercice solitaire du pouvoir une forme de manque d'expérience. Le jugement pourrait paraître un absurde car l'homme vit de la politique dès l'age de vingt-sept ans. Mais la ministre de l'intérieur explique que N. Sarkozy a sauté la case Matignon.
C'est peut être à la rue de Varenne que se trouve le carrefour des problèmes de cette présidence toute puissante. Le système politique français a été construit -à tort ou à raison- pour une forme de dualité, et aujourd'hui le dialogue entre l'Elysée et Matignon est rare. L'inéquation et les différences entre le premier ministre, François Fillon, et Nicolas Sarkozy s'exacerbent de jour en jour. Dans les derniers mois cela s'est plus que jamais senti dans les sondages d'opinions préparés et publiés ici et là.

Au lendemain de l'élection présidentielle, le couple exécutif semblait soudé et puissant. Deux hommes expérimentés mais relativement nouveaux dans le manège politique. Le choix d'un ancien proche de Chirac semblait osé, mais non moins logique, quand on sait que Fillon avait discrètement dirigé la campagne. Mais les espoirs ont fanés bien vite sous les projecteurs et les flashs. Les excentricités de l'un -suivez mon regard- ont agacé les français, et la personnalité sobre, respectable, et volontairement en retrait de l'autre ont rassuré l'électorat de droite. Mais le décalage est trop grand -dans les visions politiques et dans les sondages- Nicolas Sarkozy s'exaspère. Il n'aime pas la passivité de son premier ministre. Il veut bouger et faire bouger la France à son rythme et selon ses veut. Le seul moyen pour lui est de le faire seul. Tant pis pour Fillon s'il est exclu, s'il ne vas pas aux réunions avec les proches, s'il n'est pas consulté, s'il est méticuleusement mis à l'écart du jeu politique. Les traditionnels tête-à-têtes qui précèdent le conseil des ministres du mercredi donnent rarement place à des véritables échanges entre les deux hommes.
Pour autant la situation n'est pas complètement inédite. Les mésententes entre un chef de l'état et le chef du gouvernement se sont déjà présentées plus d'une fois pendant la V république. Et les noms de Debré (1962), Pompidou, (1968), Chaban-Delmas (1972), Chirac (1972), Mauroy (1982), Rocard (1991) émergent amèrement dans la mémoire commune.

Mais la valse exécutive n'a jamais semblé aussi confuse et maladroit que dans les dernières de l'ère Chirac, lorsqu'ils étaient trois à danser. L'astre roi est assombri, des français fatigués par des années de crises, une fracture entre la "pays réel" et le "pays légal" semble atteindre son paroxysme avec le "non" au référendum relatif au traité constitutionnel, le grand théâtre du monde se repète. Dans le rôle du Monarque Jacques Chirac, le dauphin est joué par Dominique de Villepin, et le fourbe bouffon par Nicolas Sarkozy. Le roi ne veut pas abdiquer mais s'il ne le fait pas le bouffon montera mille et une fourberie pour prendre le royaume. Le conte est trop pathétique, tout comme le carnaval des ambitions de l'année 2005. Le Monarque mourant, les véritables ambitions se dévoilent.
Bruno le Bon tel un scribe discret dévoile, dans son ouvrage Des Hommes d'État toute la subtilité de ce tournant politique qu'ont été les années années 2005 et 2006. "Maintenant, je vais être clair : quoi qu'il arrive, j'irai. Ce n'est pas intellectuel, c'est instinctif, c'est animal". Le Bouffon prépare l'attaque le 31 juillet 2006. Quatre mois plus tard, le 23, le bouffon et le dauphin discutent à table "Simplement,arrêtons de tourner autour du pot, Dominique : est-ce que vous serez candidat? _Ce n'est pas la question, Nicolas _ J'ai bien peur que si _Moi j'ai qu'un ambition, c'est bien faire mon travail de premier ministre" Et perfide bouffon conclut "j'ai besoin de vous Dominique. Le scribe narre les confessions du roi à son dauphin un an avant, le 15 Mars 2005 : ""Mais cela, Dominique, ça n'arrivera jamais." Sa remarque est sans appel, sans dureté particulière non plus, il dit ça sur le ton de l'évidence, comme un père décrétant que son fils ne sortira ce soir. "S'il y a une chose dont je suis sûr, c'est jamais je ne nommerai Nicolas Sarkozy premier ministre""
Le titre de l'ouvrage de Bruno le Bon est particulièrement bien choisi. En effet, premier ministre et dans ce cas le ministre de l'intérieur anoblit par son importance dans les stratégies politiques sont avant tout des hommes d'État, ils sont au premier rang sur le champs de bataille, et en haut de l'affiche de la médiatisation politique. La dualité voire la rivalité entre les deux têtes de l'exécutif s'est déjà présentée sous des nombreux noms au moment de la signature du traité de Nice, peu oublieront facilement l'incompréhension des autres chefs d'état et de gouvernement face à cet improbable tandem Chirac-Jospin.

Michel Rocard, rappelle avec la justesse qu'on lui connaît dans, Le Cœur à l'ouvrage "que quoi que l'on ait pu dire, la fonction de premier ministre fait de celui qui l'exerce un rival potentiel de celui qui l'a nommé. Potentiellement ils sont rivaux en attribution tout d'abord, car il est bien normal que le chef de gouvernement s'estime apte à plus d'autonomie. Rivaux en popularité ensuite, car leur deux courbes sont présentées côte à côté sans pour autant toujours évoluer parallèlement. Et parfois même, rivaux en intérêts, car le président de la République est naturellement conduit à voir dans son premier ministre un successeur possible, tout comme ce dernier peut aspirer à l'être."
Néanmoins la fonction n'a pas été pensée pour donner une si grande importance au premier ministre, celui-ci d'après l'article 21 de la Constitution n'est censé que "diriger l'action du gouvernement", sans pour autant en être l'architecte, il n'est stricto sensu que le premier des ministres. Et pour cause, l'appellation "chef du gouvernement" n'apparaît pas dans la constitution. Dans ses Mémoires d'espoir Charles de Gaulle, cet homme mortifié par la stérile "République des partis" et par l'obsession maintenir la pérennité du régime, confie qu'il voit un "qu'un président voué à ce qui est essentiel et permanent" et un "premier ministres aux prises avec les contingences." De même Raymond Barre rapporte dans Le Gaullisme aujourd'hui, que "le Général de Gaulle a écrit que "la nature, l'étendue et la durée de la tâche impliquent qu'il ne soit pas absorbé sans relâche et sans limites par la conjoncture politique, parlementaire, économique et administrative. Au contraire, disait il, c'est là le lot, aussi complexe et méritoire qu'essentiel du premier ministre français."

Là est peut être la principale cause de la démarche veule du gouvernement. Nicolas Sarkozy veut "un président qui gouverne" et s'acharne à oublier le sens et la direction de la constitution. Le président s'épuise à vouloir tout contrôler dans un cadre et pour des français qui ont du mal à le comprendre. Le fait qu'il n'est jamais eu à diriger Matignon peut être considéré comme une piste pour comprendre son comportement vis à vis de son premier ministre. Son portrait psychologique et son ambition infinie doivent être pris en considération. Mais, en tout état de cause se sont les institutions et le relations entre les deux hommes fort de l'exécutif qui seront à revoir dans les années à venir. Avec nouvelle constitution ou avec voyage de classe pour les parlementaire à Versailles. Plusieurs ébauches de réflexions se font latentes, et nombreux sont ceux qui désirent instaurer un régime présidentiel à la française dans lequel le chef du gouvernement n'est plus responsable devant l'assemblée mais seulement devant du président. D'autres trouvent plus pertinent de supprimer le poste de premier ministre et dessine la fonction de président comme celle d'un chef d'État qui assumerait seul la conduite politique du pays. Une troisième voie serait celle d'un régime primo-ministériel où le premier ministre, chef de la majorité est adossé à elle dirige la politique du pays, tandis que le président, même élu au suffrage universel ne conserverait plus qu'un rôle symbolique et une magistrature morale. Enfin, pour certains, il serait plus clair de supprimer l'élection du président et de confier la totalité du pouvoir gouvernemental au premier ministre, et ainsi revenir à un régime radicalement parlementaire.

Toutes ces alternatives ont le mérite de poser la question de la responsabilité politique, et simplifier les rapports, parfois aléatoires et politiciens, entre chef d'État et chef de gouvernement.
De même, la volonté frustrée de toute-puissance de Nicolas Sarkozy a tout de même le mérite de poser la question de l'héritage Gaullien et de sa constitution. Pour autant, un changement constitutionnel, n'est réellement légitime que lorsqu'il suit une forte secousse historique, qu'il s'agisse de guerre ou de révolution. La solution est peut être dans un nouvel pacte tacite, tel que la constitution Grevy, définissant un nouveau rapport de force entre les hommes forts de l'exécutif. C'est peut être un peu obscure, mais la politique a toujours été la lumineuse voie de la pénombre.

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